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Quelques réflexions sur la date de naissance de Jésus


août 2013
Auteur :

Guilio Firpo - Bulletin Nr.1

Guilio Firpo - Professeur à l’Université de Chieti et membre de notre association - est l’auteur d’un livre remarquable Il problema cronologico della nascita di Gesù ("Le problème chronologique de la naissance de Jésus" éd. Paideia, Brescia, Italie) où, dans le but de donner une date à la nativité, il examine toutes les hypothèses émises de l’Antiquité à nos jours pour confirmer ou infirmer l’historicité des Evangiles de l’Enfance. Il a bien voulu écrire à notre attention l’article suivant relatif au personnage d’Hérode qui permettra à nos amis de se faire une idée de la méticulosité avec laquelle les différentes thèses sont envisagées. Rappelons pour mémoire que la "contradiction" entre la date de la mort d’Hérode et celle du recensement ordonné par Auguste est examinée dans l’étude du Professeur Firpo d’une façon extraordinairement approfondie et est admirablement réfutée, et que l’ouvrage se termine par ces mots :
« En considération de telles coïncidences, c’est justement autour de cette époque (7 ou 7/6 av. J.-C.) que je considère possible de placer l’événement de l’incarnation. »
Souhaitons que le livre du Professeur Firpo soit bientôt traduit en français !
Nous le remercions vivement de sa collaboration.

M.-C. Ceruti

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Les informations les plus importantes données par l’historiographie sur la date de la naissance de Jésus sont fournies, comme chacun sait, par les chapitres 1-2 des évangiles de Matthieu et de Luc. Je m’arrêterai ici sur quelques brèves considérations concernant surtout le premier évangéliste.

En soi, le tableau chronologique offert par Matthieu pour la naissance de Jésus n’a pas présenté, en général, de grosses difficultés. Certes, de nombreuses hypothèses ont été avancées sur l’identité et la provenance des Mages ou sur l’identification de l’étoile, mais il reste une donnée incontournable : le fait que le roi Hérode (37- 4 av. J.-C.) était vivant au moment de la naissance de Notre Seigneur, raison pour laquelle la mort d’Hérode constitue un terminus ante quem.

En dépit de cela, il s’est trouvé des auteurs, comme par exemple Derrett, pour proposer d’identifier le Hérode "roi de Judée" de Lc 1,5 et le "roi Hérode" de Mt 2, non pas avec Hérode le Grand, mais avec son fils Hérode Archélaüs qui lui a succédé en tant qu’ethnarque de Judée (et non roi !) entre 4 av. J.-C. et 6 ap. J.-C. : tout ceci pour soutenir l’hypothèse d’une confusion opérée par Lc 2,1-2, qui date de 6 ap. J.-C. le recensement de la Judée ayant obligé Joseph et Marie à se rendre de Nazareth à Bethléem, au lieu de la placer au cours d’une année qui soit antérieure à 4 av. J.-C. (en effet nous savons par d’autres sources qu’en 6 ap. J.-C. un recensement eut lieu en Judée : mais il n’est pas dit que celui-ci ait été celui auquel Luc se réfère). A propos de l’équivalence Hérode = Archélaüs - équivalence en principe légitime comme le démontrent et les monnaies frappées par lui avec la légende HERODOY ETHNARCHOY, et le témoignage de l’historien grec Dion Cassius du IIIème siècle ap. J.-C. qui l’appelle justement "Hérode" - Derrett fait aussi observer que Hérode Antipas, un autre fils bien connu d’Hérode le Grand est lui aussi appelé en Lc 3,1 "Hérode" tout court.

Analysons ce dernier point. Dans l’antiquité pour n’importe quel lecteur de Lc 3,1, aucun doute ne pouvait s’élever sur l’identité authentique de celui qui y est appelé "Hérode tétrarque de Galilée". En effet, plusieurs raisons faisaient qu’il n’était pas indispensable de qualifier ultérieurement le personnage avec son second nom, celui d’Antipas : le contexte chronologique de référence de ce passage (la quinzième année du règne de Tibère et le gouvernement de Ponce Pilate 26-36 ap. J.-C.) et la précision des indications géographiques et institutionnelles (Hérode, Philippe et Lysanias sont justement tétrarques. : le titre royal n’apparaît pas, ayant été aboli en 4 av. J.-C. par l’empereur Auguste). D’autre part, dans les Evangiles le nom complet "Hérode Antipas" apparaît uniquement en Lc 3,19 (joint correctement à la qualification de tétrarque), ailleurs ce personnage est toujours appelé seulement Hérode (sic et simpliciter en Lc 13,31 ; en Lc 9,7 et en Mt 14,1 il est appelé "le tétrarque" ; en Lc 23,6-12 la Galilée est citée comme territoire soumis à sa juridiction, et en Ac 4,27 il est fait allusion à son entente avec Ponce Pilate). La qualification de "roi" que lui attribue occasionnellement Mt 14,9 est certainement incorrecte (mais elle appartient au même contexte narratif que la qualification de tétrarque que nous venons de citer : 14,1). Nous la retrouvons constamment chez Marc (6,14-23- 25-26 : toujours relativement à l’emprisonnement et à la mort de Jean Baptiste). L’évangéliste évidemment a, ou bien suivi une variante de la tradition commune, ou bien pris de lui-même l’initiative de la corriger ; quoiqu’il en soit, le passage cité de Matthieu (qui utilise alternativement "tétrarque" et "roi") et le cadre historique et chronologique absolument transparent réduisent en fait la portée de l’imprécision de Marc à une question de lexicologie.

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Contrairement à ce que nous venons de constater pour Hérode Antipas, les références au "roi Hérode" dans les évangiles de l’enfance de Matthieu et de Luc ne peuvent raisonnablement pas se référer à un fils d’Hérode le grand (ici à Hérode Archélaüs) : du reste, aucun des exégètes les plus anciens, et par conséquent les plus sensibles aux nuances interprétatives de ce genre, ne l’a fait, et ceci, à mon avis, a plus de poids que les alchimies de l’interprétation moderne. Comme nous l’avons vu, Luc est précis et sans contradiction quand il utilise la terminologie institutionnelle : ceci vaut aussi bien pour la liste des tétrarques dont nous avons parlé (Antipas, Philippe, Lysanias) de 3,1 que pour les autres références à Hérode (Antipas) tétrarque de Galilée. Si, par conséquent, en 1,5 il définit Hérode comme "roi de Judée", nous sommes raisonnablement autorisés à retenir qu’il ne peut pas avoir confondu le "roi" Hérode avec l’"ethnarque" Hérode Archélaüs étant donné qu’aucune source - littéraire, numismatique ou d’aucun autre genre - n’attribue à ce dernier le titre de roi qu’Auguste lui avait interdit en 4 av. J.-C., comme je l’ai précisé plus haut.

Venons-en maintenant au personnage d’Hérode chez Matthieu, avec une attention particulière pour son attitude vis à vis des Mages et du massacre des Innocents. Une comparaison même synthétique avec les connaissances que nous possédons sur la personnalité d’Hérode le Grand et de son fils Archélaüs ne peut que confirmer ce que nous avons soutenu précédemment et souligner l’excellente qualité historique des informations fournies par Matthieu, provenant évidemment de sources dignes de foi. Indubitablement, pendant les dix années où il se maintint au pouvoir (4 av. J.-C. - 6 ap. J.-C.), et spécialement au début, Archélaüs se montra dur et sans scrupules à l’égard de ceux qui s’efforçaient de saper sa position ; mais il ne manifesta rien de comparable avec l’activité de son père, bien mieux connue par ailleurs de nous grâce aux amples comptes rendus que nous en fournit l’historien juif Flavius Josèphe (37 - environ 100, ap. J.-C.). D’ailleurs pendant très longtemps (de 37 à 4 av. J.-C.) Hérode sut défendre son règne - qu’il devait à la bienveillance de Rome - contre ses multiples ennemis intérieurs, en recourant, sans aucun remord, précisément à ces qualités si bien mises en évidence dans les épisodes des Mages et du massacre des Innocents : ruse, méfiance et cruauté. Il n’hésita pas à éliminer non seulement tous ceux qui s’opposaient à lui, mais aussi ceux qu’il considérait comme de potentiels dangers ou d’ennuyeux obstacles à son pouvoir. Parmi les très nombreuses personnes mises à mort par lui, il suffit de rappeler le dernier grand prêtre asmonéen Ircan II, son propre beau-frère Aristobule, frère de sa femme Mariamme - la plus aimée certainement de ses cinq épouses - tuée elle aussi, sa belle-mère Alexandra, son beau-frère Costobar, mari de Salomé sœur d’Hérode, ses fils Alexandre et Aristobule qu’il avait eus de cette Mariamme que nous venons de citer, et son autre fils Antipater qu’il avait eu de l’Iduméenne Doris. Tout cela suffirait certainement pour confirmer les traits du personnage si bien décrit par Matthieu en ce qui concerne l’introspection psychologique ; mais il reste un autre épisode tout à fait significatif qui mérite d’être rappelé.

Très peu de jours avant sa mort et désormais à bout de forces, Hérode, sans motif apparent, donna l’ordre d’enfermer dans l’hippodrome de Jéricho "les hommes les plus en vue de toutes les bourgades de Judée" (Flavius Josèphe, Bellum Iudaicum 1, 659-660) ; puis il convoqua sa soeur Salomé avec son mari Alexa, en leur donnant les instructions suivantes : « Je sais que les Juifs se réjouiront de ma mort ; et pourtant je veux être pleuré pour d’autres raisons et obtenir de magnifiques funérailles, si vous voulez exécuter ce que je vais vous recommander. Quand je serai mort, tuez aussitôt les hommes enfermés ici, après les avoir fait entourer de soldats, de façon à ce que toute la Judée et toutes les familles, même sans le vouloir, versent pour moi des larmes. » Sagement, après la mort de son frère, Salomé n’en exécuta pas l’ordre, et les malheureux eurent la vie sauve. L’historicité de l’épisode dans son essence est en général reconnue, même si les proportions de l’événement sont peut-être à revoir.

Un deuxième problème, beaucoup plus technique et que pour cette raison j’exposerai brièvement et seulement dans ses grandes lignes, est celui de la date exacte de la mort d’Hérode. La question, bien qu’elle ne concerne pas directement les évangiles de l’enfance, a beaucoup d’importance, puisque c’est de cette date que dépend celle de Jésus. Il existe, comme je l’ai déjà dit, une chronologie généralement retenue grâce aux indications fournies par Flavius Josèphe sur la durée du règne d’Hérode et de celui de chacun des tétrarques qui lui ont succédé dans les différents territoires dans lesquels le royaume a été divisé (Archélaüs, Antipas et Philippe). Celle-ci place la mort du roi en 4 av. J.- C., et précisément un jour compris entre le 13 mars, où une éclipse de lune eut lieu alors qu’Hérode était encore vivant, selon le témoignage de Flavius Josèphe, et le 11 avril, jour de la Pâque, alors qu’Hérode était déjà mort.

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Cependant au dix-neuvième siècle déjà (Caspari, Riess, Flunk) et plus récemment aussi (Filmer, Edwards, Martin) on a pensé pouvoir déplacer la mort d’Hérode à l’an 1 av. J.-C., en partant du présupposé que le laps de temps séparant l’éclipse de lune de la Pâque aurait été trop court pour comprendre toute la série d’événements que Flavius Josèphe rappelle être arrivés entre temps. Pour soutenir cette hypothèse deux arguments principaux ont été avancés.: : a) le fait que en l’an 1 av. J.-C., et précisément le 9 janvier et le 29 décembre, deux autres éclipses de lune visibles en Palestine eurent lieu ; seule la première date, pour des raisons évidentes, peut toutefois être retenue ; b) la possibilité de contester le système utilisé par Flavius Josèphe pour calculer les années de règne d’Hérode. Il en découlerait que la mort d’Hérode serait survenue entre le 9 janvier et la Pâque (vers la mi-avril) de l’an 1 av. J.-C.. Comme j’y faisais allusion, les détails de la question, dont je me suis occupé dans un livre, sont extrêmement techniques : il vaut mieux, pour rester bref, éviter de s’y engager. La conclusion à laquelle je suis parvenu est que l’objection de fond, fondée sur le rapport entre laps de temps et événements, n’est ni décisive ni bien fondée, et ceci d’autant plus que l’alternative proposée altère ce même rapport de façon encore plus évidente. C’est pourquoi il faut retenir que le printemps de 4 av. J.-C. ne peut pas être mis en discussion comme période de la mort d’Hérode et, en même temps, comme terminus ante quem pour la naissance de Notre Seigneur.

Giulio Firpo

Reliquaire conservé à Sainte Marie Majeure à Rome, contenant ce qui est appelé "le berceau de Jésus-Christ". Celui-ci est formé de deux pièces de bois reliées entre elles :la partie supérieure est visible sous le "couvercle" et la partie inférieure porte une plaque bien évidente sur la photo. Le Père Raphaël de Brabandière, Prieur des Dominicains confesseurs de Sainte Marie Majeure, a bien voulu donner pour nos adhérents les informations suivantes : la "crèche de Jésus" a été apportée à Rome par les Croisés. Des analyses scientifiques modernes ont révélé qu’il s’agissait de bois de cèdre d’Israël - une espèce présente en Terre Sainte et plus rarement au Liban. Par ailleurs le test du Carbonne 14 date le matériau de l’époque de la naissance du Christ. Nous ne pouvons pas être sûrs qu’il s’agisse ici effectivement de la mangeoire où Jésus nouveau-né a été déposé selon les Evangiles, mais aucun élément ne permet non plus de le nier.
M.-C. Ceruti



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