Les Évangiles sont des documents historiques, presque des chroniques, de toute première main
Reginald Wehrkamp-Richter N° 50
Depuis qu’en 1898 le photographe italien Secondo Pia a prouvé que le Linceul de Turin est un négatif, et depuis les recherches approfondies en 1978 de l’équipe américaine du STuRP, se succèdent sans interruption de nombreux travaux scientifiques de plus en plus poussés. Ainsi, après 1986, le développement du microscope électronique a permis de photographier et d’étudier avec un très fort grossissement des micro ou nano-tructures, comme les globules sanguins des taches de sang, ou les fibrilles colorées du tissu de lin, celles qui sont responsables de l’image.
Par contre le nouveau détail intéressant dont nous allons parler dans cet article ne nécessite pas, pour être observé, l’usage de microscope. A la rigueur une bonne loupe. C’est un détail vérifiable par chacun travaillant sur un fac-similé du Linceul, éventuellement en augmentant ou diminuant les contrastes, ou en clignant des yeux, etc... Mais avant de décrire ce fait d’observation, faisons un détour du côté des Romains.
Première constatation : les forgerons romains savaient fabriquer toutes sortes de clous et d’outils, l’histoire, l’archéologie, nous en ont conservé un grand nombre.
Stèle funéraire conservée au Musée d’Aquileia près de Trieste, montrant un atelier de forgeron du 1er siècle et ses outils. Au milieu de l’image le forgeron tient de sa main gauche, avec une pince, le morceau de fer à travailler, au dessus d’une enclume. Dans l’autre main il tient le marteau. A droite on voit une pince, un marteau, une lime et une serrure.
A gauche son assistant, derrière un écran anti-chaleur, active un soufflet pour augmenter la température du four. Pour ce forgeron, fabriquer un clou de section plus ou moins carrée, rectangulaire ou triangulaire ne posait pas de difficultés.
In Mémoire sur les instruments de la Passion de N. S. Jésus-Christ, par Charles Rohault de Fleury, Paris, 1870.
Pour avoir une idée de la taille réelle d’un grand clou romain en fer utilisé lors d’une crucifixion, c’est-à-dire capable de porter presque le poids entier de la victime, voyons des exemples de grands clous de cette époque.
D’abord, le célèbre « Clou de Trèves », conservé aujourd’hui dans le Trésor de la Cathédrale, qui fut capitale romaine sous le nom d’Augusta Treverorum, et où ont résidé l’empereur Constantin et sa mère Hélène avant de choisir comme nouvelle capitale la ville de Byzance rebaptisée Constantinople. C’est l’impératrice Hélène qui, après son voyage en Terre Sainte pour retrouver la Croix du Christ et les lieux
chrétiens de Jérusalem, vers 326, juste après le Concile de Nicée, aurait ramené, dit la tradition, ce grand clou de la Passion ains qu’une longue tunique qui est dite avoir appartenu au Christ. Ce clou, dont la pointe cassée est à Toul dit-on, a une section grossièrement rectangulaire et environ vingt centimètres de long.
D’autres grands clous romains sont connus. Par exemple le clou trouvé dans l’os du talon d’un homme, Yehohanan ben Hagqol, crucifié au 1er siècle (voir le bulletin n°43). Récemment, lors de fouilles archéologiques en Basse Saxe, à Hedemünden (au sud de Göttingen), ont été trouvés plusieurs grands clous (des « sardines » avec anneaux de fixation) qui servaient à maintenir au sol les lourdes tentes militaires romaines, sur l’emplacement d’un camp militaire romain avancé en territoire germanique, datant de l’époque d’Auguste.
Tous ces grands clous (d’environ de 20 cm de long) ont des pointes soit émoussées soit mal exprimées ce qui ne gêne pas quand il s’agit, comme pour les « sardines » d’être enfoncées dans le sol, mais il faut imaginer une pointe plus acérée, limée, pour qu’un clou de cette importance pénètre dans du bois. Comme les Romains connaissaient l’usage de la lime mais aussi de la tarière, on peut faire l’hypothèse qu’ils employaient cet outil pour pré-percer le bois, comme Albrecht Dürer l’imagine dans son célèbre tableau (voir verso de l’encart).
Revenons aux traces laissées par la partie fortement ensanglantée de la plante du pied droit de l’homme crucifié du Linceul (voir recto de l’encart et fluidogramme). Nous distinguons trois lignes, d’environ 22 millimètres - dont deux de tracé net et formant un angle de 60°, la troisième étant plus floue -, encadrant un espace triangulaire assez homogène à l’œil, et qui, une fois qu’on l’a vu, se différencie bien du contexte environnant. Le fluidogramme des coulées de sang permet d’expliquer les détails de l’image ensanglantée autour de la forme triangulaire. Les flèches indiquent les directions des coulées de sang.
L’écoulement du sang, pendant que le crucifié est sur la croix, obéit à la force gravitationnelle, les coulées sont plus ou moins parallèles et dans le sens de l’axe du corps (verticales). La zone B, au contact de la partie supérieure du clou, conserve nettement plus de sang que la zone C, car le sang qui sortait du côté c du clou pouvait immédiatement couler vers le bas dans les canaux k2 et k3. Alors que dans la zone B la partie supérieure du clou formait barrage pour le sang qui s’entassait, puis devait d’abord s’évacuer vers la droite avant de s’évacuer vers le bas selon la loi de la gravité, par le canal k4.
Notons tout de suite que pour ceux qui étudient la dynamique des fluides, la finesse, la précision des écoulements sanguins est une preuve supplémentaire que l’image n’a pas été dessinée.
Il faudra aussi chercher à expliquer la coulée en sens opposé, qui part de B et diffuse vers le haut, jusqu’ à alimenter la zone W, qui n’a pu se produire en même temps que les autres, et qui leur est postérieure.
Ce qu’on observe est prodigieux. Mais une observation est un fait : il faut la prendre en compte. Ce triangle quasiment équilatéral, cette figure géométrique au sens exact du terme, que l’on voit ainsi apparaître dans l’image, à quoi correspond-elle ? Comment l’expliquer ? Le Linceul a-t-il porté, dans le court moment du tombeau, quelques traces de la matière du clou ? Peut-on avoir ici l’image d’un trou qui aurait gardé, du moins en partie, des bords assez nets dans la chair, même s’il s’est comblé ensuite partiellement ? Est-ce l’empreinte qu’un gros clou triangulaire1 aurait laissée dans le pied de l’homme crucifié ? Est-ce que ce sont les caillots de sang coagulé qui en durcissant ont gardé l’empreinte du clou ? Est-ce alors la silhouette du trou lui-même que l’on voit, que l’énorme clou aurait comme « poinçonné » dans la chair de l’homme ? Dans tous les cas de figure, on voit que le pied a littéralement été perforé de part en part. Le calcul de la surface de ce trou triangulaire donne la valeur énorme d’environ 2cm2, telle que ceux qui à l’époque détachèrent le corps pouvaient voir à travers le pied.
D’autre part l’image techniquement précise des coulées de sang à partir des trois côtés du clou triangulaire permet de dire qu’il a été impossible pour le crucifié de tourner le pied autour de ce clou : seul un léger mouvement au niveau des genoux était possible.
Fluidogramme
N.B. : Dans le Linceul, le pied droit de Jésus est encore dans la position qu’il avait sur la croix (rigidité cadavérique).
L’homme du Linceul montre des marques de crucifixion sur la main gauche et sur la plante du pied droit. L’observation et la comparaison de l’image de la plante du pied droit, qui se trouvait lors de la crucifixion plaqué contre le bois de la croix, en dessous du pied gauche, et de l’image de la partie dorsale de la main gauche plaquée elle aussi contre le bois, mais qui dans le tombeau s’est trouvée au dessus de la main droite et au contact direct du tissu, permettent de voir qu’on a utilisé un clou nettement plus petit - de section indistincte sur le Linceul - pour clouer les mains.
De ces observations, on peut essayer de déduire des hypothèses.
D’abord sur le mode de crucifixion qui fut employé : une crucifixion avec trois clous, un gros clou triangulaire pour fixer les deux pieds ensemble, et deux clous plus petits pour les mains. On peut faire l’hypothèse que les clous dans les mains servaient surtout pour retenir le corps du crucifié, mais que c’était ce gros clou triangulaire, d’une surface de coupe importante, qui portait presque le poids entier de l’homme crucifié. D’où découlerait un autre renseignement : comme patibulum (la partie horizontale de la croix) une simple planche suffisait pour écarter plus ou moins les bras et retenir les deux mains, puisque les deux clous qui les fixaient n’avaient pas de charge importante à porter.
Pendant l’enfoncement des clous, surtout le gros clou triangulaire, la croix devait être posée au sol et non dressée verticalement car, techniquement, il n’est guère possible de clouer un homme sur une croix debout : une telle croix vibrerait fortement sous les coups de marteau sans que les clous entrent vraiment, profondément, dans le bois, même si le poteau vertical, le stipes crucis, haut de deux à trois mètres, est fixé solidement dans le sol. Une crucifixion sur une croix debout est possible si l’homme est lié avec des cordes.
Le chercheur français André Marion a comparé optiquement, sur le Linceul et sur la partie dorsale de la Tunique d’Argenteuil, les traces imprimées au niveau des épaules. L’image qui ressort des filtrages optiques et mathématiques qu’il a opérés montre les traces faites sur le dos d’un homme par une croix entière, comme on la voit le plus souvent dans nos églises. Une croix avec stipes et patibulum et pas seulement le patibulum horizontal qu’on aurait fixé ensuite au poteau déjà en place. Ce qui fait aussi penser à une crucifixion avec trois clous.
Les victimes d’une crucifixion, même affaiblies par d’autres supplices, dépensaient souvent leurs dernières forces pour éviter qu’on les crucifie, bougeant en tout sens bras, jambes ou tout le corps. Il fallait certainement que plusieurs hommes maintiennent la victime ou qu’elle soit liée très serré par des cordes pendant qu’un autre homme enfonçait les clous avec un marteau.
D’autres hypothèses concernent la façon dont le corps a pu être détaché de la croix.
La netteté des traces sanguines qui se sont produites quand Jésus était à la verticale, cloué sur la croix, et qui donc se sont conservées telles quelles en s’imprimant sur le linceul, démontre qu’une fois mort, son corps a été détaché avec de très grandes précautions, sinon ces caillots ou écoulements ne se seraient pas conservés, ou à tout le moins leurs traces auraient été perturbées. Or les Evangélistes parlent tous les quatre d’un personnage important, et bienveillant, Joseph d’Arimathie [cite], qui obtint de Pilate de prendre en charge le corps de Jésus. De son importance, on peut déduire qu’il avait de nombreux serviteurs qui ont pu œuvrer avec lui. De son attachement à Jésus, on peut déduire qu’il veilla à ce que tout soit fait avec le plus grand soin.
La question n’est plus : Le linceul de Turin est-il ou non l’authentique Linceul du Christ ? Mais : comment peut-on encore se permettre, en ce début de troisième millénaire, de le présumer faux, avec toute l’information scientifique accumulée depuis plus de cent ans ? Nous savons maintenant de façon certaine que le Linceul de Turin est infalsifiable.
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PS : Un grand Merci au Professeur Fayat pour son aide précieuse et ses encouragements.
Livres pris en considération :
– M. Antonacci : The Resurrection of the Shroud (Ed. M. Evans and Company - New York).
– P. Baima Bollone, S. Zaca : La sidone al microscopio (Ed. Elle Di Ci).
– Flavius Josèphe : La Guerre des Juifs (différents éditeurs).
– Flavius Josèphe : Les Antiquités Judaïques (différents éditeurs).
– M. Hengel : Die Kreuzigung in der antiken Welt und die ‘Torheit’ vom Worte des -Kreuzes ; traduit en français : Crucifixion dans l’Antiquité et la folie du message de la Croix (Ed. du Cerf).
– A. Legrand : Evangile et Linceul (Ed. F.-X. de Guibert, Paris).
– J. Lipsius : De cruce libri tres (Ed. Ex Officina Plantiniana, Anvers, 1599 et al.).
– G. Lucotte : Vérités sur le Saint Suaire (Ed. Atelier Fol’fer).
– A. Marion, G Lucotte : Le linceul de Turin (Ed. Presses de la Renaissance).
– A. et M. Whanger : The Shroud of Turin (Ed. Providence House Publishers, Franklin, Tennessee).
– F. Zugibe : The Crucifixion of Jesus, a Forensic Inquiry (Ed. M. Evans and Company, New York).
[cite] « Le soir venu, arriva un homme riche, originaire d’Arimathie, qui s’appelait Joseph, et qui était devenu lui aussi disciple de Jésus. Il alla trouver Pilate pour demander le corps de Jésus. Alors Pilate ordonna de lui remettre. Prenant le corps, Joseph l’enveloppa dans un linceul neuf, et le déposa dans le tombeau qu’il venait de se faire tailler dans le roc. Puis il roula une grande pierre à l’entrée du tombeau et s’en alla. » (St Matthieu 27, 57-60).
« Déjà le soir était venu ; or, comme c’était la veille du sabbat, le jour où il faut tout préparer, Joseph d’Arimathie intervint. C’était un homme influent, membre du Conseil, et il attendait lui aussi le royaume de Dieu. Il eut le courage d’aller chez Pilate pour demander le corps de Jésus. Pilate, s’étonnant qu’il soit déjà mort, fit appeler le centurion pour savoir depuis combien de temps Jésus était mort.
Sur le rapport du centurion, il permit à Joseph de prendre le corps. Joseph acheta donc un linceul, il descendit Jésus de la croix, l’enveloppa dans le linceul et le déposa dans un sépulcre qui était creusé dans le roc. Puis il roula une pierre contre l’entrée du tombeau. » (St Marc 15, 42-46).
« Alors arriva un membre du conseil, nommé Joseph ; c’était un homme bon et juste. Il n’avait donné son accord ni à leur délibération, ni à leurs actes. Il était d’Arimathie, ville de Judée, et il attendait le royaume de Dieu. Il alla trouver Pilate et demanda le corps de Jésus. Puis il le descendit de la croix, l’enveloppa dans un linceul et le mit dans un sépulcre taillé dans le roc, ou personne encore n’avait été déposé. C’était le vendredi, et déjà brillaient les lumières du sabbat. » (St Luc 23, 50-54).
« Après cela, Joseph d’Arimathie, qui était disciple de Jésus, mais en secret par peur des Juifs, demanda à Pilate de pouvoir enlever le corps de Jésus. Et Pilate le permit. Joseph vint donc enlever le corps de Jésus. Nicodème (celui qui la première fois était venu trouver Jésus pendant la nuit) vint lui aussi. Il apportait un mélange de myrrhe et d’aloès pesant environ cent livres. Ils prirent le corps de Jésus et ils l’enveloppèrent d’un linceul, en employant les aromates selon la manière juive d’ensevelir les morts. Près du lieu où Jésus avait été crucifié, il y avait un jardin, et dans ce jardin, un tombeau neuf dans lequel on n’avait encore mis personne. Comme le sabbat des Juifs allait commencer, et que ce tombeau était proche, c’est là qu’ils déposèrent Jésus. » (St Jean 19, 38-42).
Jean Carmignac - Bulletin n° 4
Article établi par Marie-Christine Ceruti sur la base de l’article que nous a envoyé le Professeur Garfinkel : No 77
Association Jean Carmignac