Les Évangiles sont des documents historiques, presque des chroniques, de toute première main
Professeur Grzybeck, Université de Genève
Le Professeur Erhard Grzybek, de confession luthérienne, est Docteur ès lettres de l’Université de Genève et, actuellement, Professeur à la Faculté des lettres de la même université. Sa thèse de doctorat et ses publications traitent de l’histoire antique, en grande partie de l’époque hellénistique. Il a eu l’amabilité de nous adresser ceux de ses articles qui, relatifs au christianisme, présentent un intérêt tout particulier pour nous : « L’Edit de Nazareth et la politique de Néron à l’égard des chrétiens » , Zeitschrift für Papyrologie und Epigraphik 120, 1998, p. 279-291, rédigé avec Madame Sordi, et « Les premiers chrétiens et Rome », publié dans l’ouvrage Neronia VI. Rome à l’époque néronienne, Latomus 268, 2002, p. 561-567. Il a bien voulu revoir lui-même le résumé que, avec son autorisation, nous avons fait de ce dernier et que vous trouverez ci-dessous. Nous le remercions très vivement.
L’auteur, Erhard Grzybek, Professeur à l’Université de Genève, nous amène, par un raisonnement progressif et argumenté, à une conclusion retentissante et totalement inattendue qui ne décevra certes pas les membres de notre association. Suivons-le dans sa démonstration. Après avoir souligné que le nom de Rome n’est pas mentionné une seule fois dans l’Apocalypse, il remarque cependant qu’elle y est évoquée plus d’une fois. Et, nous donnant l’explication des raisons pour lesquelles Rome doit être assimilée en tant qu’Empire à la première bête qui monte de la mer, Néron à la deuxième, il nous montre qu’il fallait être familier de l’Ancien Testament, connaître ses symboles, ses images, ses allusions pour pouvoir comprendre le texte prophétique de ce livre du Nouveau Testament avec son sens caché au reste des hommes. Ce point acquis, il passe à la notion de Rome non plus en tant qu’empire mais en tant que ville. Celle-ci, dit-il, ne peut pas manquer d’être assimilée à la femme prostituée assise « sur sept collines » (17,9) et installée justement sur la bête qui représente l’Empire romain, puisque de plus le texte ajoute : « La femme que tu as vue, c’est la grande ville qui a la royauté sur les rois de la terre. » (17, 18). Or, nous dit l’auteur, dans l’Apocalypse, Rome est présentée ou bien comme cette prostituée dont il vient d’être question, ou bien comme « Babylone, la grande », les deux images apparaissant même parfois ensemble. Cette métaphore de la ville comparée à une prostituée vient en droite ligne de l’Ancien Testament où c’est Jérusalem qu’Ezéchiel traite de ce nom pour s’être compromise avec le conquérant babylonien en se livrant au culte de toutes sortes d’idoles. Et de même, si Rome est appelée Babylone c’est parce que, aux chapitres 50 et 51 de son livre, Jérémie a prédit sa chute à la ville qui a tant fait souffrir le peuple juif : Si bien que l’auteur de l’Apocalypse – quel qu’il soit – ayant annoncé cette même fin à la ville de Rome « ivre du sang des saints et du sang des témoins de Jésus » (17,6), il lui apparaît tout naturel d’utiliser l’image de Babylone pour l’appliquer à Rome, celle-ci s’étant rendue coupable d’un crime semblable et devant s’attendre à une destruction similaire. Quelle que soit la date qui puisse être attribuée au dernier livre de la Bible, il est certain, dit le Professeur Grzybek, qu’il a été composé après les persécutions de Néron, ce qui explique que son auteur a pu considérer Rome, comme le faisaient tous les chrétiens de l’époque, comme « la grande Babylone, mère des prostituées et des abominations de la terre. » (17,5)
Que le lecteur accorde son agrément ou non à la thèse du Professeur Grzybek exposée jusqu’à ce point, la suite va proposer une nouvelle « piste » qui peut être suivie seule. Il suffit de retenir que Rome a pu – et c’est la pensée de la majeure partie des théologiens de tous les temps – être désignée par le nom de Babylone.
Or dans sa Première Epître - écrite certainement avant que l’Apocalypse ne voie le jour - l’Apôtre Pierre indique de cette façon le lieu où il se trouve : « La communauté des élus qui est à Babylone vous salue » (1 Pe 5, 13). Pourquoi, s’il s’agit de Rome, son auteur ne le dit-il pas clairement ? Et comment l’Apocalypse aurait-elle pu l’influencer, comme il a souvent été allégué, au point de provoquer cette formule ambiguë, si justement elle n’avait pas encore été écrite ? Le Professeur Grzybek formule sur ce point une explication tout à fait intéressante : il s’agit d’un cryptogramme, d’un message codé que seuls pouvaient comprendre les adhérents de la nouvelle foi, les premiers chrétiens, et non les persécuteurs potentiels de Pierre, en particulier les sbires impériaux, dans les mains de qui sa missive pouvait tomber. Or il vient immédiatement à l’esprit que si cet Apôtre avait lieu de se cacher, cette Epître a dû être écrite en 62 ou dans les années qui suivent, quand les chrétiens ont commencé à être mal vus du pouvoir romain.
L’auteur attire ensuite notre attention sur un autre passage du Nouveau Testament qui a suscité beaucoup d’interrogations : il s’agit du passage des Actes des Apôtres (12, 17) où il est écrit que Saint Pierre s’en alla « vers un autre lieu »… sans plus de précision. Tout le monde sait que la plus grande partie des commentateurs s’accordent pour déclarer que cet autre lieu est Rome où l’Apôtre se serait en effet rendu une première fois vers 42. Le Professeur Grzybek se réfère alors à une recherche du Professeur C.P. Thiede (Babylon, der andere Ort : Anmerkungen zu 1 Petr 5, 13 und Apg 12, 17 dans Das Petrusbild in der neueren Forschung, Wuppertal, 1987, p. 221 sqq.) qui a trouvé dans Ezéchiel (12, 3) cette même tournure de phrase, ce même « vers un autre lieu » pour désigner Babylone. Il s’agirait donc, nous dit le Professeur Grzybek, du même stratagème, d’un cryptogramme, qui permet à qui connaît le langage des textes sacrés de reconnaître qu’il s’agit de Babylone, c’est-à-dire de Rome.
C’est alors que nous en arrivons à la déduction qui nous intéresse. Si dans les deux cas – Première Epître de Pierre et Actes des Apôtres - un message codé a été utilisé pour cacher le lieu, quel qu’il soit, où se trouvait Saint Pierre (ou bien où il s’était trouvé), c’est que celui-ci au moment de la rédaction de ces deux textes était toujours vivant, sinon il n’aurait plus couru aucun risque, si bien que la Première Epître de Pierre ne peut plus être considérée comme posthume – et que les Actes des Apôtres et par conséquent l’Evangile de Luc qui leur est antérieur aux dires précis de leur auteur, ont été écrits du vivant même de Saint Pierre.
Le Professeur conclut que si le mot de Babylone est devenu un nom prophétique après les persécutions de Néron comme nous le voyons dans l’Apocalypse, il a d’abord été un cryptogramme pour désigner Rome à la fin du règne de cet empereur sous les persécutions. Et il ajoute que nous avons là par ailleurs la preuve que l’Evangile de Luc, les Actes des Apôtres et la Première Epître de Pierre ont été écrits très tôt, du vivant même de l’Apôtre Pierre.
Jacqueline Olivier
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